Louboulbil, une boulangerie qui sort des cadres... « et ça marche » !

Au retour du marché, les pains sont vendus moitié prix, l'après-midi, dans les locaux de l'entreprise, à Castelsagrat.

Chez Louboulbil, une boulangerie tarn-et-garonnaise qui vend ses produits sur les marchés, il n'y a aucun contrôle, aucun objectif pour les vendeuses, la hiérarchie y est minimaliste, chaque salarié travaille 4 jours par semaine et a 10 semaines de vacances... Un modèle qui semble porter ses fruits.

« La plupart des patrons ne comprennent pas ce qu'il se passe ici, admet Jean-Pierre Delboulbe, le gérant de la boulangerie Louboulbil, basée dans le Tarn-et-Garonne, à Castelsagrat. Ils ne sont pas prêts... » Il faut dire que la structure, qui vend ses pains au levain sur 17 marchés de la région, met un coup de pied dans la fourmilière sur plusieurs sujets : répartition des richesses produites, hiérarchie, contrôle, gestion des embauches..

« Pour moi, l'une des choses les plus importantes, c'est que 50% du chiffre d'affaires revient aux salariés, s'il reste 15% de marge nette à l'entreprise pour investir, souligne M.Delboulbe. Entre les charges sociales, le salaire, les tickets repas, les tickets cadeaux, les primes (et on achète aussi du blé à certains), ils ont 50% du chiffre d'affaires. C'est facile à comprendre et ce n'est pas manipulable par le patron ! », s'exclame-t-il. Il compte même inscrire prochainement cette règle dans un accord d'entreprise. Finalement, affirme-t-il, le « pouvoir d'achat » des trente salariés (20ETP) est « plus important qu'ailleurs ».

© Christophe Zoia - Les productions qui reviennent du marché sont également vendues sur l'application « Too good to go », « surtout pour que les gens sachent qu'ils peuvent venir ici acheter les productions », signale le gérant.
© Christophe Zoia - La boulangerie propose une large gamme de pains au levain : céréales, complet, au curcuma, au maïs, au petit épeautre, au seigle, aux courge, à l'avoine, au miel...

Le créateur de l'entreprise a d'ailleurs inventé un slogan qui le fait sourire : « Avec Delboulbe, vous avez tout en double. Ici, c'est le double de revenus et le double de vacances ! » En effet, « on s'entend entre vendeuses pour savoir qui pend quelles semaines, exactement en fonction des vies privées de chacune. Et certaines prennent jusqu'à douze semaines de congés », déclare Danièle, l'une des employée. M.Delboulbe envisage même de consulter un avocat pour « sceller dans le marbre que chacun peut avoir 10 semaines de vacances par an. » Et tous travaillent quatre jours par semaine. La vendeuse se félicite : « On a du temps libre et de l'argent pour faire quelque chose pendant ce temps libre ».

© Christophe Zoia - Ici, beaucoup de choses sont « faites maison », y compris la plupart des travaux.
© Christophe Zoia - L'entreprise compte 30 salariés, soit 20 équivalents temps plein. Tous sont intéressés sur le chiffre d'affaires, notamment en fonction du nombre d'heures travaillées, mais aussi du nombre d'heures à des moments délicats (nuits et dimanches).

« J'ai patronisé les salariés »

C'est peut-être au chapitre des conditions de travail que Louboulbil est la plus disruptive. En effet, ici, « il n'y a aucun contrôle, on joue sur l'autocontrôle », assure M.Delboulbe. Pourquoi ? « Je viens du rugby et je sais bien qu'une mêlée cohésive, ça enfonce des murs ; au contraire, une mêlée de costauds qui s'engueulent, ça n'enfonce rien... ». Il ajoute : « Quand quelqu'un vous donne un ordre et une direction, il bride votre créativité, votre allant. On a besoin de créativité chez les boulangers et on a besoin que la boulangère se sente libre. Dans 90% des cas, les clients ne me disent pas en premier que le pain est bon, mais que la vendeuse est sympa. C'est aussi parce qu'elle n'est pas contrôlée et qu'elle n'a pas d'objectif. » Et « le contrôle coûte cher », répète à l'envi le gérant. Sans oublier que cette confiance permet de « faire remonter les signaux faibles et éviter les gros pépins ».

Les prises d'initiative sont valorisées : « c'est chaque service qui décide s'il doit embaucher ou non, et ce sont les vendeuses, par exemple, qui décident qui elles vont embaucher et pour combien d'heures. » De fait, « elles font attention, puisqu'elles savent que c'est un peu leur argent, sourit le gérant. 50% leur revient... »

Adrian, l'un des deux mécaniciens, confirme : « C'est moi qui décide quels camions il faut acheter. Quand on doit acheter quelque chose, on fait tous plusieurs devis. C'est notre argent... » Et le créateur de Louboulbil de sourire : « J'ai patronisé les salariés »...

© Christophe Zoia - A partir d'un tank à lait, Jean-Pierre Delboulbe a créé une machine qu'il a appelée le « fermento-levain » qui « permet d'obtenir un levain liquide ».
© Christophe Zoia - De nombreux salariés produisent le blé, à Castelsagrat et dans deux communes voisines. La farine est moulue à Montricoux, à 80km de là, avant d'être transformée par Louboulbil.

Ce d'autant plus que l'entreprise est une coopérative agricole, alimentée par le blé produit localement par une partie des salariés. « Deux ans après mon arrivée, M.Delboulbe m'a proposé de me louer des terres pour produire du blé, témoigne Adrian. On sous-traite la production agricole et ça met encore plus de beurre dans les épinards... »

M.Delboulbe en est donc certain : « J'ai créé une entreprise qui a du sens, et c'est gratifiant. Je ne me verrai pas faire autrement ». Mais ce modèle est aussi source de réussite économique, selon lui. En effet, le chiffre d'affaires de Louboulbil a augmenté de 15% l'an dernier. « Cela dit, on ne veut pas aller beaucoup plus loin, tempère le gérant. On est arrivé à trouver une organisation où on est assez tranquilles. Si on grandit encore, on va retomber dans quelque chose de moins tranquille. Accumuler, ça sert à quoi ? A la fin, cette entreprise et notre vie vont s'arrêter... »

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